Ma bibliothécaire, Laurence, et Babeth, une amie, se sont-elles concertées pour me conseiller deux ouvrages que je viens de lire l’un à la suite de l’autre ? La première m’avait recommandé Anaïs Nin, sur la mer des mensonges, une bande dessinée réalisée par Léonie Bischoff. La seconde m’a prêté L’exil n’a pas d’ombre, de Jeanne Benameur. Que ces deux auteures me pardonnent si elles ne souhaitent pas que leurs œuvres soient associées, mais elles semblent se répondre.
Écrire librement pour vivre libre
Anaïs Nin… raconte l’histoire d’une jeune femme qui cherche à s’émanciper dans les années 1920. Sous forme de bande dessinée, l’ouvrage offre de belles planches, mêlant parfois rêve et réalité. Le lecteur suit ainsi les premiers pas de la future romancière au fil de récits issus de son journal. Léonie Bischoff nous invite, spectateurs, à découvrir les aventures et réflexions de cette artiste, sa relation aux hommes entre autres. Le propos, subversif à son époque, résonne encore avec la nôtre, tant chacune, et chacun, cherche toujours à mener une existence libre. Anaïs Nin mêle sa vie et son écriture comme si en se libérant de l’une elle vivrait l’autre plus librement.
La poésie illustre le réel
L’exil n’a pas d’ombre est un long poème évoquant le voyage d’une femme suivie par un homme. Fuit-elle pour se libérer, elle aussi ? L’homme ne semble d’abord pas savoir pourquoi il la suit. Dans la bande dessinée de Léonie Bischoff, Anaïs Nin ne veut pas écrire comme un homme. Elle cherche les mots de son écriture singulière. L’homme qui suit la femme en exil du poème de Jeanne Benameur ne sait ni lire ni écrire alors que celle qu’il suit a faim de mots. Elle voit les images tracées par les mots. Elle reproduit des signes dans la poussière. Elle signe sa liberté. Est-elle plus émancipée qu’Anaïs Nin ? L’homme se demande : « Les signes, si c’est une femme ou si c’est un homme qui les écrit, qui voit la différence ? »
L’écriture a-t-elle un genre ?
Ces deux ouvrages parlent de la relation à soi et à l’autre, de ce que l’on s’apprend en s’approchant. Léonie Bischoff illustre des extraits d’un récit autobiographique et ses dessins nous éclairent sur la psychologie d’une femme qui s’émancipait il y a cent ans. Pas étonnant qu’Anaïs Nin cherchait à écrire en se libérant de l’emprise des hommes. Pourtant le contenu de son journal ne peut se détacher de leur influence. La poésie de Jeanne Benameur ne revendique pas de genre à ma connaissance. En revanche, elle aussi semble puiser dans son expérience pour nourrir sa littérature. Quoiqu’il en soit, lorsque je lis des auteurs ou des autrices, ou que j’entends les textes produits par les participant.e.s des ateliers d’écriture que j’anime, je ne me demande pas s’ils écrivent comme des hommes ou comme des femmes. Leur propos et leur style m’intéresse davantage, et ce qu’ils transforment en moi surtout. Et vous, trouvez-vous une différence entre les textes écrits par des femmes ou par des hommes ?