« L’inspiration de nos héritages » /13/ Maud Morel – illustratrice

Maud Morel expérimente des univers graphiques variés et propose ses services d’illustratrice à des porteurs de projets qui ont du sens. Nous avons commencé à travailler ensemble sur un recueil de textes poétiques illustrés, lorsque j’ai vu que Maud avait laissé une page vide sur son blog avec le message suivant : « Dessiner pour les textes de quelqu’un d’autre, ah ça oui ça me plairait beaucoup ! Alors je prévois cet espace, parce que j’ai très envie que cela se produise. » Maud a également réalisé le logo de l’association Les murmures de l’onde, créée au printemps avec mes collègues Christophe Plisson et Jérémie Korolitski. J’ai naturellement invité Maud à partager ses influences pour compléter la série L’inspiration de nos héritages.

© photo Laure Delhomme illustrée par Maud Morel

Une passion ancrée

« J’ai toujours dessiné depuis mon enfance. À cette période de la vie, il est admis par tous qu’il est normal de passer du temps à dessiner. En grandissant, à l’adolescence et une fois adulte, j’ai moins dessiné. C’était devenu une activité pulsionnelle. Je débutais un dessin le soir, il devait être fini le lendemain et je ne dessinais plus pendant des mois. Plus récemment, après avoir quitté la ville pour m’installer à la campagne, le dessin a repris de la place dans ma vie. Je ne travaillais plus que deux jours par semaine et l’idée de quitter mon travail s’installait doucement. J’ai emménagé dans une petite caravane, sans perspective professionnelle ni préoccupations autres que de subvenir à mes besoins de base. Je possédais peu de choses – une dizaine de livres, deux casseroles, etc. – et je connaissais peu de gens dans ce nouveau lieu dans lequel je me suis installée. Le vide m’offrait de l’espace et du temps ! Un regain d’envie de dessiner s’est alors imposé. »

Un mode d’expression

« J’avais envie de partager ce que cette nouvelle vie m’inspirait, me retrouver face à moi-même, face à la nature. Comme disait Henri Michaux, le manque provoque une aspiration à vivre d’autres expériences. J’étais plus à l’aise avec le dessin pour exprimer ces perceptions plutôt qu’avec des mots. Cette période a été décisive. Auparavant, je ne montrais plus mes dessins depuis l’enfance, voire je les détruisais. Partager mes dessins me permettait de garder le contact avec mes proches dont je m’étais géographiquement éloignée. Ayant peu de place dans ma caravane, j’accumulais mes dessins dans un petit carnet 15x15cm, dans lequel je dessinais au stylo noir. Ce n’étaient pas des expérimentations techniques. Par exemple, je passais devant un chêne tous les jours et j’ai dessiné cet important voisin. Je redécouvrais avec joie et appréhension la vie à l’extérieur. Mes dessins étaient aussi des transpositions d’états intérieurs. »

Une technique qui s’affine

« La pratique régulière m’a permis de progresser et d’être moins dans un exercice pulsionnel, davantage dans une recherche d’expression de ce que je vivais. Les personnes qui m’entouraient auparavant s’ancraient dans une vie professionnelle et familiale alors que je m’éloignais de ce modèle. Puisqu’il était difficile d’expliquer ce choix par des mots, la subtilité du dessin me semblait plus adaptée. Aujourd’hui, je mêle les mots au dessin. Avant de changer de mode de vie, j’avais créé un blog qui présente la maturation de ce projet : www.les-trois-maisons.com. Ces éléments théoriques ont nourri mes actes concrets vers d’autres façons de concevoir l’habitat, le travail, la consommation, les relations sociales, etc. Après avoir écrit sur ces sujets et animé une chronique radio autour de ces thématiques, j’ai repris mon carnet et mon stylo. J’ai retrouvé le goût de l’écriture manuscrite puis le dessin s’est imposé. »

Relier

« Dix ans avant, j’étais relieur. Au fil des années, le livre, les mots et le dessin commencent à s’assembler. La reliure étant l’acte de coudre, le temps est peut-être venu de lier ces trois éléments. N’ayant pas suivi de formation artistique, je me pose souvent la question de la légitimité. Quelques cours me rassurent d’un point de vue technique mais j’aime explorer librement. Lorsque j’ai appris la reliure, j’ai surtout travaillé pour des collectionneurs. Les projets étaient très aboutis mais réservés à des investisseurs passionnés de patrimoine. À présent je veux partager mes savoir-faire avec un public plus large. Je souhaite insuffler plus de sens à mes dessins, les exécuter avec les tripes. Le but est de s’émerveiller, s’émouvoir ensemble. »

Revenir à l’essentiel

« Lorsque je me suis installée à la campagne, j’ai pensé arrêter le dessin pour me consacrer à la construction, le jardinage, et toutes ces activités nécessaires qui prennent beaucoup de temps et d’énergie : gérer les panneaux solaires, le compost, les toilettes sèches, etc. L’art n’était plus une priorité. Finalement, je pense que l’on a autant besoin d’être autonome sur le plan matériel que d’être épanoui d’un point de vue artistique, émotionnel, philosophique et spirituel. J’ai participé à un atelier qui consistait à se projeter dans un monde désorganisé. On imaginait par exemple des scénarios en cas de pénurie de pétrole ou d’augmentation de la température globale de 2°C. J’ai constaté qu’au-delà des solutions pragmatiques concernant des questions matérielles, des propositions allaient dans le sens d’une préservation des richesses immatérielles, comme les contes locaux ou les chants et les danses, pour répondre à d’autres besoins. Cela m’a confortée dans l’idée que les arts sont essentiels. Edgar Morin en parle dans un de ses essais sur l’esthétique. Selon lui, la marchandisation de l’art a coupé le lien avec l’acte créatif qu’il qualifie de semi-transe. On le retrouve par exemple dans l’état observé chez des artistes sur scène. Assister à cette transformation est inspirant et nous ouvre à la poésie nécessaire à notre équilibre. Ainsi, en dessinant, j’ai l’impression de participer modestement à la marche du monde. »

Dessin ou illustration ?

« L’illustration m’offre des perspectives dans cette idée de participer à un projet collectif. Le dessin sort de mon esprit et j’ai plaisir à partager mes pensées de cette manière. C’est un acte spontané pour lequel je ne propose pas forcément de commentaire. Le lecteur est touché ou pas par la proposition. Le livre pop up me reconnecte à l’objet livre, puisque je ne pratique plus la reliure qui nécessite de travailler dans un atelier, dont je ne dispose pas en ce moment. J’adore voir mes dessins s’animer et observer la réaction de ceux qui ouvrent le livre ! L’informatique m’offre aussi d’autres expériences et me permet de partager mes productions. Explorer l’animation est intéressant aussi, mais nécessite davantage de formation pour s’y consacrer pleinement. Je prends aussi le temps d’observer le travail d’autres artistes. En fac d’histoire, à Dijon, j’ai été éblouie par la période flamande du XVe siècle, exposée au musée des beaux-arts. Les contrastes m’ont choquée et ont profondément marqué ma façon de dessiner aujourd’hui. Noirs profonds et couleurs vives se sont imposés à moi. Les enluminures et les peintures religieuses m’ont fortement touchée, la pesée des âmes du retable de l’Hôtel Dieu de Beaune, par exemple. Ainsi, récemment, j’ai choisi quatre couleurs qui constituent désormais la base de mes illustrations et de mes dessins. »

Des influences médiévales

« La fin du moyen-âge m’a offert ses couleurs. Le trait symbolique et stylisé du début de cette période influence mon dessin. Les marges et les enluminures foisonnent aussi de sources inspirantes. C’était visiblement un espace de liberté. Or, j’ai longtemps été blessée par l’étiquette de marginale qu’on m’a collée parfois. À présent, je suis consciente de la richesse des marges et je m’identifie avec plaisir dans ces espaces d’exploration et de liberté. On peut avoir une certaine idée de l’ordre et de la paix établie mais les marginaux nous ouvrent des voies vers d’autres possibilités. En dessinant, cette notion de marge me rassure et m’évite de m’enfermer dans le beau. Cela m’invite à explorer aussi des sujets plus douloureux, comme ce dessin d’une trentaine d’enfants tués en une semaine à Gaza dernièrement. »

© Maud Morel

Instaurer un dialogue

« L’illustration et le dessin constituent donc un mode d’expression qui me permet d’échanger avec des personnes qui peuvent interagir, commenter, répondre. Les sujets évoluent au fil du temps et, que je représente un rêve ou un sujet de société, le style permet de me reconnaitre par la ligne et les couleurs qui deviennent un vocabulaire identifiable. J’aime appuyer les contours, cerner de noir. Les premiers dessins accessibles à tous étaient des vitraux au moyen-âge, dont les dessins étaient cernés de plomb. C’est un style qu’on retrouve dans la bande dessinée et dans l’art pop. Le trait est simple et incisif. Le dessin va droit au but, avec peu de moyens, et transmet facilement les messages. Cette envie de partager une information, un ressenti, de façon épurée, est en relation avec mon mode de vie qui s’allège avec le temps. Cela ne m’empêche pas d’apprécier des univers plus chargés, voire baroques, ni d’explorer le foisonnement de la nature qui m’entoure. Parfois il m’arrive, en contemplant le paysage, de voir les éléments qui le constituent, avec les couleurs et le contraste avec lesquels je les représenterais ! Mes dessins finissent par correspondre à la façon dont je vois les choses. »

Porter du sens

« Les projets qui m’occupent en ce moment me permettent d’explorer différentes pistes. J’ai commencé par illustrer les poésies d’un ami. À l’inverse, il lui arrive d’écrire à partir de mes dessins. Depuis, les textes du recueil que tu m’as proposé d’illustrer m’inspirent naturellement des illustrations et me confortent dans cette voie vers le métier d’illustratrice. J’ai également envie de mettre en forme les carnets dans lesquels j’ai noté et illustré la période où j’habitais en caravane. Ces pages mêlent logistique, poésie et sources d’inspiration, de réflexions de Kandinsky sur la couleur, au récit de Thoreau dans sa cabane. Ma voisine, professeure de danse, m’a connectée à la danse et nos séances m’inspirent très fort. Nous projetons de travailler ensemble sur une expérience mêlant danse et dessin. J’aimerais aussi exposer des dessins ; mais pour cela, il faut oser ! Nous avons commencé aussi à travailler, toi et moi, avec Les murmures de l’onde, la photographe Laure Delhomme et le graphiste Thibault Pétrissans, sur un projet de récit illustré. Il s’agit d’une expérience vécue par Kamel Haridi, dans une grotte au bord de l’Isère, qui nous permettra d’aborder en images et en mots de nombreux sujets qui me tiennent à cœur : l’habitat, l’alimentation, la spiritualité, etc. J’ai déjà géré une entreprise et je suis bien consciente des tâches à assurer pour maintenir une activité dans la durée, mais il y a une vie en dehors du business plan ! et aujourd’hui je souhaite travailler avant tout pour des projets porteurs de sens, avec des humains qui partagent leur sensibilité avec spontanéité. »

Si vous souhaitez aussi témoigner, partager ce qui vous influence positivement et poursuivre cette collecte de « L’inspiration de nos héritages », n’hésitez pas à me contacter par mail ou téléphone 06 64 97 94 84.

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