« L’inspiration de nos héritages » /16/ Emeric et Stefen – L’un plume l’autre

Emeric et Stefen sont des troubadours des mots. Je les ai rencontrés lors d’une représentation de leur spectacle, Le sac à deux, et j’ai été touché par leur poésie généreuse et leur complicité. Leur compagnie, L’un plume l’autre, propose « des spectacles de leurs poésies mises en scène, ainsi que des ateliers méditatifs poétiques et musicaux d’écriture ». Appétissant, n’est-ce pas ?

Une rencontre autour de soi et des mots

Pour Stefen, l’essentiel est en chemin. « Nous allons à la rencontre de nous même avant tout. Nous apprenons à nous connaitre l’un et l’autre. C’est un travail de chaque instant qui nous occupe au quotidien. Nous nous découvrons au travers du miroir de l’autre. Cette aventure nous emmène dans des explorations créatives et au-delà, sur scène et dans la vie de tous les jours. »

Emeric précise que cette rencontre les redéfinit sans cesse. « Nos temps d’échange et de création me confirment qui je suis et qui j’ai envie d’être. J’étais prof d’EPS à Paris et j’ai répondu à cet appel des mots et de la musique. J’avais envie de voyager et j’ai vécu un an en Amérique Latine. Cette expérience m’a ouvert des portes et confirmé que je devais expérimenter la création ailleurs qu’à Paris pour explorer tous les possibles. Les rencontres permettent d’avancer et les circonstances jouent également un rôle important. Le premier confinement m’a encouragé à aller de l’avant et vivre davantage au présent. Les choses ont pris plus de sens lorsque nous nous sommes rencontrés. »

Sauter à l’artistique

Depuis un an et demi, les deux compères se sont lancés dans l’aventure. Emeric se souvient : « J’ai commencé à jouer et chanter sur les marchés il y a deux ans et un nouvel élan est arrivé avec Stefen. À deux, la forme s’est organisée autour d’un spectacle. J’ai pris conscience du pouvoir des mots et de notre envie de nous mettre à leur service. C’était tout naturel de le partager avec d’autres. Nous sommes des nomades, nous avons plongé dans le bain de la création artistique sans savoir ce qui émergerait. C’est merveilleux de créer avec les mots et de se sentir légitime de dire au monde ce que l’on ressent. Notre point de vue est très personnel mais peut concerner d’autres personnes et devenir plus universel. »

Se laisser faire par les mots

Stefen était ostéopathe et souhaitait se rendre disponible, plus libre, vivre d’autres choses. « En tant que soignant, je mettais déjà des mots sur ce que vivent les gens. J’étais au service de l’autre mais j’avais envie d’explorer ma propre créativité. J’ai commencé par écrire des poèmes, une sorte de journal intime avec des rimes. Puis les textes se sont structurés, densifiés. Un jour, j’ai lu un de mes textes, accompagné par Emeric à la guitare. Depuis, nous avons identifié que nous laissons les mots nous surprendre. Notre écriture est spontanée, portée par le souffle, la musicalité des mots. Le sens émerge alors et nous assemblons les textes dans un ensemble cohérent. »

La musicalité au service des mots

Emeric a grandi avec la musique. Les mots sont venus ensuite. « Enfant, j’ai appris la guitare en écoutant Jack Johnson et Ben Harper. Dans ma famille, on écoutait France Gall, Daniel Balavoine, Brassens. J’étais influencé par la chanson française des années 70-80 et la folk américaine. Puis j’ai appris les chansons de Trio et des Ogres de Barback.  Le rap-slam d’Hocus Pocus me parlait aussi et m’a mis sur le chemin des mots. »

Stefen aime jouer avec les formes, la poésie classique et une écriture plus contemporaine, plus libre. « La chanson française m’a beaucoup influencé, Francis Cabrel notamment. Les accompagnements au piano et les orchestrations des chansons de William Sheller nourrissent aussi mon imaginaire musical. Ensuite, Les Nèg’ Marrons et Grand Corps Malade m’ont amené à des formes plus narratives mais poétiques aussi. »

Des références littéraires et poétiques

Les influences d’Emeric et Stefen sont variées. Stefen apprécie la façon dont Stefan Zweig décrypte la psychologie humaine. « J’aime aussi l’écriture simple de Christian Bobin qui va droit au cœur. La puissance de la poésie de Victor Hugo me touche également. Quant à Aragon, sa poésie m’a ouvert à des formes plus libres. »

Pour Emeric, « On conçoit le monde comme on le raconte. Alain Damasio, par exemple, apporte une touche poétique dans son écriture romanesque. Quand on allie le fond et la forme avec poésie, une alchimie se crée et ces rencontres imaginaires décloisonnent l’inspiration. Le monde des mots, leur mélodie, leur rythmique, leur relief et leur texture nous sont alors offerts. On peut les ressentir avec toutes les parties de notre corps ».

Jongler avec les mots

Les deux artistes aiment jouer avec les mots. Stefen se souvient que cette habitude était déjà présente dans les textes d’Emeric lorsqu’ils se sont rencontrés. « Ce n’est pas spécifique à notre duo mais la recombinaison de mots fait partie des moyens que nous utilisons pour ouvrir de nouveaux horizons. » Sans doute le goût du voyage… et l’envie de partir avec des mots-valises !

Emeric reconnait son appétit à jouer avec la langue. « C’est une pression consciente ou héritée de nos influences qui nous pousse à franchir les limites, jouer les équilibristes, aussi avec la ponctuation. » L’écriture devient alors sculpture et permet d’explorer d’autres textures. La saveur des mots change et exprime des notes exotiques. Cela permet de créer d’autres formes d’écriture pour provoquer de nouvelles sensations chez le lecteur.

Selon Stefen, « la poésie est une effraction dans le réel. Elle a cette force. Ainsi, dans notre spectacle, certains mots peuvent bousculer, capter l’attention. Des images inattendues parlent à l’imaginaire. »

Ecrire avec le corps

Dans leur spectacle, Stefen et Emeric dansent et se livrent à des acrobaties avec beaucoup de grâce. Le geste accompagne la parole de façon fluide. Le mouvement raconte la proximité, la complicité, la tendresse, le plaisir à jouer ensemble. Stefen rappelle que tous deux ont toujours aimé faire du sport. « C’est un goût partagé et le langage corporel s’est inscrit naturellement dans le spectacle. D’ailleurs, certaines scènes ont été écrites à partir de postures que nous avons enchainées et la relation a d’abord été racontée avec les corps. Dans le sport, certains gestes sont techniques et répondent à un besoin de performance. Notre approche emprunte des voies plus créatives, plus libres, au service de l’expression d’un message. »

Emeric a découvert le cirque à la fac de sport puis l’acroyoga. « Les jeux d’équilibre, de portés, de voltige et de jonglage sont toujours présents. La perte d’équilibre est intéressante et réveille notre enfant intérieur. C’est un autre moyen d’aborder la question du fil de l’existence, de la relation, à la fois ludique et philosophique. Les contes, mythes et légendes influencent aussi notre imaginaire et apportent une symbolique nourricière à notre création. Avec ces explorations, nous comprenons mieux ce qui se joue dans les relations humaines. »

Passeurs d’émotions

Au-delà du spectacle Le sac à deux, concentré autour de l’amitié, les deux artistes jouent un autre spectacle autour de la relation intergénérationnelle. Une autre création est en préparation autour de la relation en général. Le sujet passionne Emeric et Stefen et ils auront certainement d’autres surprises à nous offrir. Comme ils proposent des temps de partage avant et après leurs spectacles, le public peut ainsi exprimer à chaud son ressenti. La rencontre fait partie intégrante de leur création et nourrit autant les artistes que les spectateurs. Stefen précise qu’il n’y a « pas de frontière entre notre amitié et notre activité créatrice ». C’est sans doute ce qui permet cette relation privilégiée avec eux pendant et après le spectacle. Et ça fait du bien !

Si vous souhaitez aussi témoigner, partager ce qui vous influence positivement, rendre hommage à ceux qui vous inspirent et poursuivre cette collecte de « L’inspiration de nos héritages », n’hésitez pas à me contacter par mail ou téléphone 06 64 97 94 84.

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