« L’inspiration de nos héritages » /17/ Michèle Caranove – L’artiste qui murmure à l’oreille des arbres

Michèle Caranove est une passionnée de la plume et des arbres. J’ai eu la chance de profiter de ses talents pour l’illustration de Sauvetage, un roman d’aventure à lire à partir de 8 ans. Michèle a le dessin dans la peau comme les arbres ont la vie sous l’écorce. Elle partage ses travaux au cours d’expositions et vous pouvez également découvrir ses œuvres sur https://www.artmajeur.com/michele-caranove et https://www.facebook.com/michele.caranove.

Une passion

Le quotidien de Michèle Caranove oscille entre profession et passion. « Certains estiment que l’art est un loisir, mais pour d’autres, dont je fait partie, c’est un métier. Et je ne m’en lasse pas ! Depuis que je dessine des arbres, je regarde le monde à travers ce prisme. Van Gogh a écrit des lettres à son frère quand il séjournait à Arles. Il lui disait notamment qu’il ne regardait le monde qu’avec ses yeux de peintre. De la même manière, lorsque je me balade dans l’Allier, où vivent des millions de chênes, je les contemple toujours en pensant à comment je pourrais les dessiner. C’est un angle de vue qui m’est venu au fil du temps. J’étais graphiste de formation et, après avoir exercé pendant vingt ans dans ce domaine, j’ai décidé de me consacrer à la peinture. Depuis dix ans, j’assume d’être dessinatrice. C’est ce qui me pousse, ce qui me porte et ce que je sais faire. »

La plume pour dessiner

Michèle dessine notamment à la plume Sergent Major. « Je n’ai pas appris à écrire avec mais je l’utilise pour dessiner. Il m’arrive de dessiner au crayon ou au fusain pour faire des fondus lorsque je dessine en extérieur, mais la plume est l’outil de prédilection du graphiste qui valorise le trait. Le même outil permet d’offrir des nuances de gris, des modelés, etc. Chaque jour, j’explore de nouvelles pistes, je varie les formats et je passe au moins quatre heures à dessiner à la plume. Le reste du temps, il faut encadrer, communiquer et chercher des lieux d’exposition, mais dessiner est un besoin quotidien. »

Inspiration végétale

Avant de dessiner des arbres, Michèle Caranove était déjà inspirée par des motifs végétaux. « Des éléments organiques ou racinaires apparaissaient dans mes tableaux, puis, en emménageant dans l’Allier, la présence forte des arbres m’a donné envie de m’y frotter davantage. Mes dessins sont proches de la réalité mais je ne représente pas chaque feuille. Mes « gribouillis » donnent l’illusion du feuillage. C’est une réalité réinventée. Ernest Pignon, le père du street art français, qui imprime ses dessins et les colle dans la rue, m’inspire beaucoup dans sa façon de représenter la réalité. Selon lui, le dessin est une fiction, c’est une image. L’artiste interprète la beauté. J’essaye donc de transmettre ce qui me touche dans l’arbre que je choisis de dessiner. Je travaille au plus près des sujets et à partir des photos que je réalise pour me concentrer sur certaines parties. »

Les jumeaux, en cours de réalisation.

Des arbres remarquables

Michèle Caranove explore la forêt de Tronçais qui souffre notamment des sécheresses plus fréquentes ces dernières années. Les portraits qu’elle réalise des arbres prennent une valeur d’inventaire lorsque des arbres disparaissent. « Dans le cas des jumeaux, entre autres, deux arbres côte à côte, âgés de plus de trois-cent ans, l’ONF a annoncé cette année que l’un des deux n’a pas fait de feuilles. On assiste ainsi à la disparition de certains vénérables. Pour les dessiner, je vais les voir plusieurs fois et je réalise des photos par beau temps pour avoir des supports contrastés. Je les préfère en hiver, lorsque les branches sont bien visibles. J’ai mes chouchous ! Certains ont un nom. La Résistance, par exemple, est un arbre qui pousse dans une parcelle gérée de façon naturelle. Il a été baptisé Pétain pendant la guerre, mitraillé, puis renommé clandestinement par la Résistance. Un autre s’appelle Charles-Louis Philippe, un des fondateurs de la NRF, la Nouvelle Revue française, et auteur originaire de l’Allier. Émile Guillaumin rend hommage à un écrivain-paysan de la région. Quand à La Sentinelle, il tombera bientôt. »

Dans l’intimité des arbres

Des chênes sessiles ont été plantés sous Colbert dans la forêt de Tronçais pour fabriquer des charpentes de marine. Certains ont des fûts très hauts et droits, d’autres sont tordus. Tous sont particuliers et Michèle a découvert que chacun a son histoire. « Le dessin permet de les approcher, de les côtoyer et d’entrer dans leur intimité. Le chêne Pirot et très large. Il pousse près d’un étang et ne manque pas d’eau. Lorsque je rencontre des promeneurs, certains me racontent qu’ils le connaissaient déjà quand ils étaient enfants. D’autres ont déposé des cendres à ses racines. Il porte aussi une petite plaque « à mon fils chéri ». Cet arbre a donc beaucoup à raconter. La Sentinelle aussi est très intéressant. C’est une sorte de vieux général couvert de bosses et d’impacts de balles. J’ai également découvert un arbre à moitié mort au bord d’un chemin. De toute façon, l’arbre est un être a croissance continue qui ne s’arrête pas si on lui laisse le loisir de poursuivre sa vie. Les parties extérieures sont mortes mais l’intérieur est plein de vie. »

Associer lumière et textures

Michèle Caranove est une fidèle amie des arbres mais envisage d’autres projets artistiques. « Il m’est arrivé d’associer dessins de rochers et broderies d’algues réalisées au crochet en fil DMC. L’idée me plaît d’associer l’art textile aux arbres mais doit encore mûrir. La petite végétation naissante du printemps, les fougères m’attirent beaucoup aussi. J’ai envie d’apporter du volume et de la profondeur à mes créations en deux dimensions. J’aimerais donner l’impression qu’on entre dans la forêt devant mes tableaux. C’est un terrain de jeu fabuleux. Passer de l’ombre à la lumière est très inspirant. Je ne suis pas de nature très patiente, mais la superposition de couches de gris impose d’attendre le temps des phases de séchages, jusqu’à ce que l’arbre apparaisse enfin. »

Favoriser la rencontre avec les arbres

Souvent le public est touché par l’œuvre, à distance, puis, s’approchant, s’intéresse à la technique. Ceux qui connaissent les arbres de la forêt de Tronçais les reconnaissent. « Certains pensent qu’il s’agit de photos en regardant de loin puis réalisent que ce sont des dessins en venant à proximité. C’est un lent travail qui favorise la rencontre avec les arbres. Comme le disait le peintre Louis Ponce : « Je tue le temps à coup de plume Sergent Major. Ça va être long ! » Dernièrement, j’ai entamé aussi un travail avec un gang de tricoteuses. L’objectif du yarn bombing est de couvrir des objets avec du tricot dans l’espace public. J’aimerais par exemple couvrir Le Chêne carré, un arbre remarquable atteint d’une maladie qui crée des excroissances. Son pied est énorme et quand je l’ai vu la première fois, c’était une pissotière. Emballer les arbres contribuera peut-être à les faire respecter. L’ONF, un EHPAD et plusieurs tricoteuses sont motivés pour mettre en œuvre le projet en 2023. Nous allons avoir besoin de laine… avis aux amateurs ! »

Si vous souhaitez aussi témoigner, partager ce qui vous influence positivement, rendre hommage à ceux qui vous inspirent et poursuivre cette collecte de « L’inspiration de nos héritages », n’hésitez pas à me contacter par mail energieplume@gmail.com ou téléphone 06 64 97 94 84.

Le bonus de Michèle : « Histoires naturelles », de Jules Renard :

C’est après avoir traversé une plaine brûlée de soleil que je les rencontre.

Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent les champs incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.

De loin, ils semblent impénétrables. Dès que j’approche, leurs troncs se desserrent. Ils m’accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu’ils m’observent et se défient.

Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais s’écarter.

Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu’à la chute en poussière.

Ils se flattent de leurs longues branches, pour s’assurer qu’ils sont tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère si le vent s’essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d’accord.

Je sens qu’ils doivent être ma vraie famille. J’oublierai vite l’autre.

Ces arbres m’adopteront peu à peu, et pour le mériter j’apprends ce qu’il faut savoir :

Je sais déjà regarder les nuages qui passent.

Je sais aussi rester en place.

Et je sais presque me taire.

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